Plus petit et plus fin qu’un cerf (200 kg), il s’appelle chevreuil (20 à 30 kg), chevrette (moins d’ 1 m de haut pour 15 à 25 kg) ou faon (jusqu’à 6 mois), puis chevrillard (de 6 à 12 mois). Son corps étroit lui permet de se faufiler partout. Une largeur de 20 cm et une hauteur de 80 cm lui suffisent pour passer entre 2 troncs ou dans les ronces.
Le chevreuil mâle appelé brocard est le seul de la famille chevreuil à porter des bois. Ils sont courts, rugueux à la base et possèdent chacun au maximum 3 andouillers. Les bois atteignent environ 25 cm de hauteur (au meilleur de leur forme à 3 et 4 ans, sachant que la vie d’un chevreuil en liberté est d’environ 6 à 10 ans). La pousse des bois dure généralement 2 à 3 mois (principalement de la mi-janvier à la mi-février). Ils sont alors recouverts d’une peau appelée velours que les chevreuils perdent de mars à juin (ne cherchez pas les velours comme indices, il les mange…). Puis les bois tombent chaque année vers le mois de novembre.
Il possède de grandes oreilles qui lui permettent de saisir les sons à grande distance, son odorat est très développé, sa vue n’est pas mauvaise mais c’est surtout les mouvements qu’il détecte immédiatement. Alors si vous avez la chance de l’entrevoir lors de ses promenades diurnes, stoppez nette votre marche et transformez vous en statue, il pourra passer à quelques mètres de vous sans s’inquiéter.
Son territoire n’est pas très grand (30 à 50 ha de bois) mais il aime son confort. A l’aide du sabot de sa patte avant, il gratte les feuilles mortes et écarte les brindilles de façon à laisser un ovale de sol nu d’environ 60 cm de long et 50 de large, juste assez pour s’allonger à même la terre. On appelle cela une couchette. Il dort peu, guère plus de 3 à 4 heures par jour mais il peut passer un peu plus de temps dans sa couchette à y ruminer… eh ! oui, c’est un ruminant !
Au plaisir de la gastronomie, il consacre 6 heures par jour à cueillir sa nourriture puis 6 autres longues heures à faire remonter puis remâcher, boulette après boulette, tout ce qu’il a avalé au cours de ses balades. En bon ruminant, il possède un estomac à 4 poches comme la vache ! Mais contrairement à la vache qui broute tout ce qu’il lui tombe sous la dent, le chevreuil choisit ses végétaux. Du bout de ses lèvres il picore les feuilles les plus tendres, les herbes vertes et les meilleures jeunes pousses avec une préférence pour les chênes, les ormes ou les merisiers…et comme ils sont le plus souvent plantés en ligne, pas besoin de chercher longtemps l’arbre suivant…Il apprécie aussi le charme, le frêne, la ronce et même (en hiver) l’if (qui tue les chevaux) ou le lierre et le gui réputés immangeables.
Son pelage subit deux mues par an : au printemps, il devient roux orangé vif et en automne il se transforme en une confortable pelisse d’hiver qui vire au gris-brun. Cette tenue de camouflage serait particulièrement efficace dans nos forêts dénudées en hiver s’il n’y avait pas cette tâche d’un blanc éclatant qui orne le fessier des mâles (en forme de haricot) et des femelles (en forme de cœur). Une façon poétique de les distinguer quand les mâles ont perdu leurs bois… Comble de la poésie, cette tâche est appelée « miroir ». Mais soyons honnêtes, ce miroir n’est pas aussi anodin : dès que l’un d’entre eux pressant un danger, son miroir se gonfle en ¼ de seconde et double quasiment de surface, c’est l’alerte pour les membres du groupe. Et ne parlons pas du 2e avantage quand l’équipe se déplace la nuit et qu’elle décide de filer après une alerte, les jeunes détalent alors les yeux fixés sur les miroirs qui fuient devant eux…
Le cri d’alarme des deux sexes ressemble à s’y méprendre à un aboiement particulièrement fort et souvent répété par le brocard. 9 fois sur 10 les promeneurs croient avoir affaire à un chien. En période de rut, la femelle lance un sifflement, le mâle un cri grinçant.
Une vie de chevrette :
A partir du mois d’avril, les chevrettes changent d’humeur, leurs petits ont grandi (ils ont 11mois révolus), presque aussi grands que leur mère. Subitement elles les rejettent à leur grande stupéfaction. Ils finissent par se résigner et c’est alors que l’on peut en voir errer à la recherche d’un territoire non occupé. Certains réussissent à rester cachés dans leur territoire de naissance en attendant que leur mère soit revenue à de meilleurs sentiments, quelques mois après quand ses nouveaux faons seront nés et autonomes…Mais pour d’autres leur vagabondage se termine sur une route percutés par une voiture, surtout dans nos forêts traversées par de nombreuses routes.
En mai ou juin la chevrette se retire dans un endroit tranquille pour mettre au monde 1 faon (ou 2 si la nourriture a été suffisante pendant la période de gestation). Une heure et demie après, il se tient debout et est capable de marcher. Mais sa mère doit partir se nourrir et il doit rester seul dans la nature car ce n’est qu’à 15 jours qu’il est capable de courir assez vite pour échapper au renard. Elle le place donc dans un taillis ou sous des ronces avec la consigne de rester immobile, quoi qu’il arrive. Pour passer inaperçu il a reçu à sa naissance une tenue de camouflage : un gilet à pois qu’il va conserver pendant 3 mois jusqu’au début août. Les tâches claires de son pelage se confondent avec les pastilles de lumière que projettent sur le sol les rayons filtrant à travers le feuillage. Roulé en boule dans ce tapis de feuilles mortes, il est invisible et Dame nature ayant tout prévu, il ne dégage aucune odeur susceptible de le faire repérer par un prédateur.
Si un jour vous le découvrez, ne croyez surtout pas qu’il est abandonné, la chevrette se tient dans les environs. Admirez le un petit instant, ne le caressez pas et passez votre chemin.
A sa naissance, il pèse 1,5 à 2 kg, 15 jours après, déjà 6 kg. A une semaine il broute ses premières feuilles, sauf la fougère aigle, toxique pour eux comme pour beaucoup d’habitants de la forêt. A 2 semaines, il accompagne sa mère dans tous ses déplacements.
Une vie de brocard :
Même s’il vit dans le même bois, ce père des faons de l’année ne s’occupe nullement de ses enfants. Fin mai/début juin, il rôde parmi les arbres, tête basse. De temps en temps il s’arrête pour gratter furieusement le sol avec les sabots de ses pattes avant, puis il charge des arbustes en les écorçant vifs avec ses bois. Ces cicatrices sur les arbres à moins d’un mètre de hauteur s’appellent des « frottis ».
Déjà dès le début du printemps il avait commencé à baliser son territoire : il avait rageusement labouré à coups de sabots et envoyé voler feuilles et brindilles pour ne laisser que des petits triangles de terre nue, qu’on appelle des « grattis ». Mais frottis et grattis ne suffisent pas, il les imprègne de son odeur grâce à de petites glandes placées sous ses bois et sur ses sabots, c’est le début du rut chez les chevreuils.
Ainsi le visiteur (concurrent) et le ou les jeunes faons de l’année comprennent vite ces avertissements. S’ils décident de les ignorer, ils voyagent à leurs risques et périls. Si le propriétaire des lieux les rencontre c’est le combat assuré. Seulement voilà, le maître des lieux a un avantage certain. Vous savez que des bois tout neufs poussent sur la tête des chevreuils à chaque printemps et qu’ils sont recouverts d’une peau douce et hypersensible baptisée « velours ». Or plus le chevreuil avance en âge, plus le velours tombe précocement par rapport aux chevreuils plus jeunes. Ainsi ils sont armés avant les autres de bois solides prêts pour la bataille…ils pourront alors infliger les pires souffrances aux jeunes qui n’ont pas encore perdus leur velours… 9 fois sur 10 le plus jeune pique un cent mètres pour vite repasser la frontière…
Au mois de juin, tout est calme et voici qu’au mois de juillet les hostilités reprennent : grattis, frottis , batailles… Et là c’est sérieux car les jeunes chevreuils ne sont plus handicapés par leur ramure en velours… Lorsque 2 mâles de force comparable se rencontrent, ils s’insultent copieusement (aboiements furieux) et finissent par se jeter l’un contre l’autre, tête en avant. Heureusement le combat se termine souvent par la fuite du plus faible ou par l’abandon de l’un suite à une vilaine blessure de guerre… toutefois si l’un des combattants se fait jeter à terre, le combat se termine alors dans une mare de sang…
C’est alors que les faons âgés d’un ou 2 mois ne comprennent plus rien, d’autant plus qu’un beau matin de ce mois d’août, leur mère disparaît, le choc ! Oubliant ses devoirs de mère elle a filé voir si un brocard serait d’humeur à la séduire. Elle n’a aucune difficulté à le trouver et le fait courir 24 h durant pour finir par une course poursuite autour d’un buisson, d’un rocher ou d’un arbre. Il se dessine alors un petit cercle longuement piétiné, très visible dans la végétation, d’environ 2 à 3 mètres de rayon appelé « rond de sorcière ». Ce qui se passe ensuite est du domaine de la vie privée. Mais le temps est compté car la chevrette n’est fécondable que pendant 36 heures environ…Le brocard se lance ensuite à la poursuite de toutes ses voisines tandis que la chevrette a retrouvé ses esprits maternels et s’est précipitée rejoindre son ou ses faons comme si rien ne s’était passé.
L’approche de l’hiver :
Le mois d’août se termine, les feuilles commencent à tomber, finis les jeunes pousses et les tendres bourgeons, l’hiver approche de façon inquiétante : le cauchemar des chevreuils.
C’est alors que l’union fait la force. Les faons de l’an dernier qui n’ont pas trouvé de territoire réapparaissent, puis le brocard amaigri qui a dormi comme un loir après ses folles prouesses du mois d’août se joint à la troupe et parfois même une autre famille.
L’équipe réunie fait front pour amasser un maximum de réserves (noisettes, glands, faînes, baies, châtaignes, poires, pommes sauvages…et champignons en dessert) afin de se constituer un bon matelas de graisse sous leur pelage avant le 15 novembre, date fatidique marquant le début du terrible jeûne des chevreuils. Mais Dame nature s’est à nouveau invitée pour aider la femelle à passer cette période difficile car si la gestation du fœtus dure 9 mois et demi, l’embryon ne se fixe par « gestation différée » qu’au bout de 4 mois et la gestation directe ne commence que fin décembre, début janvier.
Maintenant que vous savez tout sur la vie des chevreuils, vous allez pouvoir deviner dans quelle parcelle de forêt un chevreuil a élu domicile ? Même s’il est discret et craintif, il est curieux et s’approche volontiers des habitations proches des lisières, tôt le matin, au crépuscule ou la nuit. Alors si vous voulez tenter votre chance, il faut être aussi discret que lui car il fuit le contact de l’homme et est gêné par des dérangements répétitifs comme par la présence de chiens qui souvent le poursuivent, c’est le plus grand problème dans nos forêts très fréquentées.
Mais il y a aussi l’ONF et leurs relations avec les chevreuils ne sont pas au beau fixe… On peut les comprendre puisque notre beau chevreuil saccage un peu leur travail en attaquant les jeunes pousses qu’ils viennent de planter. Mais le chevreuil était là avant les forestiers et la forêt ne se portait pas si mal… Comment les réconcilier ? Ils ont essayé de clôturer les parcelles replantées mais c’est devenu trop onéreux, financièrement et en effectif. Depuis ils installent des manchons en grillage autour de chaque plant : moyennement efficace… ! C’est une réorganisation complète de la gestion forestière qu’il faut revoir avec l’ONF, c’est l’objectif de notre dossier « forêts périurbaines » que nous essayons de mettre en place en Ile de France, avec moins de coupes rases et une gestion irrégulière de la forêt (voir le dossier sur notre site internet et sur le site www.collectif-grandparis).