Un acrobate dans nos forêts

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Un acrobate dans nos forêts

Tous les enfants me reconnaissent sur les livres d’images : je suis l’écureuil roux.

Mais avant de vous raconter ma vie, je vais vous donner quelques informations,… que j’ignore personnellement… ! On m’appelle aussi « écureuil d’Eurasie », car je suis présent de l’Europe à la Russie en passant par l’Asie jusqu’à une altitude de 2000 m. Je suis un rongeur qui appartient à la famille des « Sciuridés », du grec ancien skíouros, qui se traduit par « dont la queue fait de l’ombre » (et pas seulement, vous le verrez plus tard). Je pèse en moyenne 600 g et mesure de 18 à 25 cm + 16 à 20 cm pour ma queue.

Cette queue touffue relevée dans le dos est aussi longue que mon corps, mes oreilles sont terminées par un pinceau de poils dressés et mon pelage est brun-roux plus ou moins foncé sur le dos, blanc sur le ventre. Petit acrobate infatigable dans nos forêts, j’assure le spectacle lorsqu’en levant la tête, vous avez la chance de m’apercevoir.

En vous promenant dans nos forêts, vous, Chavillois, vous avez sûrement découvert un jour une grosse boule de feuilles, à 10 m du sol, coincée dans la fourche d’un arbre. Est-ce du gui, un nid de pie ?

Non, c’est seulement la silhouette de mon nid d’hiver, reconnaissable entre tous : entièrement tapissé extérieurement de feuilles mortes puis à l’intérieur, quelques branches et brindilles très serrées pour assurer la solidité et un matelas de mousse, de plumes, de lichens et autres éléments douillets pour en garantir le confort. Tous ces matériaux, bien sûr je les transporte dans ma gueule et c’est avec mes doigts que j’entrelace mes branchettes et que je les tire ensuite avec mes dents, ainsi je l’avoue, si par hasard, je trouve l’ancien domicile d’un pic ou d’une pie, je n’hésite pas à me l’approprier en le rafistolant et en le consolidant si nécessaire. Et croyez moi, une bise glaciale peut souffler, le vent secouer les branches, je dors à pattes fermées car je tire aussi sur mon édredon… enfin si vous préférez, ma queue qui recouvre tout mon corps. En plus, « cerise sur le gâteau », en hiver mon poil s’épaissit et s’allonge, ce qui rend accessoirement les pinceaux de mes oreilles encore plus visibles…

Pourquoi me direz-vous prendre toutes ces précautions ? Pour 2 raisons :

1 – De tous les habitants de la forêt je suis un des rares à dormir la nuit et à « exercer mon métier » le jour. Les renards, chevreuils, lapins, sangliers font le contraire, ainsi que mes grands ennemis, la fouine et le putois qui sont aussi agiles que moi dans les grands arbres. Il suffit qu’un coup de vent malencontreux transporte mon odeur à leurs narines pour qu’ils me repèrent tout de suite et me surprennent en plein sommeil. Bien sûr je pourrais m’enfuir à toute vitesse par une sortie secrète (l’ouverture est située en bas du nid) et filer dans le dédale des branches que je connais parfaitement (c’est aussi la raison pour laquelle je construis plusieurs nids afin de tromper l’adversaire en cas de danger), mais il fait nuit, et si mes yeux sont parfaitement adaptés à la clarté du jour, ils le sont beaucoup moins dans l’obscurité d’une nuit sans lune alors que mes deux prédateurs (sans oublier la martre des pins dans les forêts de conifères) voient parfaitement de jour comme de nuit.

2- A la différence de certains rongeurs comme la marmotte, je n’hiberne pas. Je passe les journées les plus froides à l’abri dans mon nid douillet mais dès que le temps le permet, je sors. Aussi à l’automne je suis contraint de passer 80% de mon temps à me nourrir et à faire des provisions pour résister à mes sorties hivernales. Pour tout avouer, je n’attends pas l’automne pour faire des provisions, chez moi c’est une manie, dès que le vent fraichit, il faut que j’enterre mes nouvelles trouvailles un peu partout dans la forêt. Il est vrai que je ne peux compter que sur moi car je suis solitaire. Je suis arboricole voire omnivore, en fait j’adapte mon alimentation aux disponibilités de nourriture. En automne et en hiver, je me nourris principalement de fruits d’arbres : graines de conifères, faînes, châtaignes, glands, noisettes, noix…, mais aussi d’écorces d’arbres, de bourgeons et de champignons, même vénéneux pour l’homme, pas pour moi. Au printemps et en été, mon régime est diversifié : baies, fleurs, jeunes pousses d’arbres, fruits à pulpe (cerise par exemple), invertébrés (insectes, escargots), et occasionnellement œufs et oisillons…

Restes de noisettes rongées par un écureuil roux

Mes réserves sont constituées de fruits secs que j’enfouis dans des cachettes (un trou au sol de la bonne profondeur, souvent au pied des arbres, ou parfois dans les arbres, à la fourche de branches). Je recouvre le tout et je les marque de repères olfactifs que je retrouverai en cas de besoin… mais ma mémoire est quelquefois défaillante et comme le geai des chênes ou le mulot, j’en oublie par ci, par là et je participe ainsi à la régénération naturelle des peuplements forestiers – bel exemple dont je suis fier.

Ainsi pendant la mauvaise saison, quand la température s’élève un peu et que le soleil m’envoie quelques rayons bienfaisants, l’envie me prend de me dégourdir les pattes. Seulement avant de quitter mon nid, je dois pratiquer un cérémonial immuable : ma toilette ! Je suis d’une propreté sans égal. A chaque sortie, été comme hiver, j’entreprends, assis sur mon matelas de mousse, de me gratter le ventre et les flancs, de peigner ma queue avec mes ongles et de me frotter le nez avec les doigts de mes pattes de devant, tout cela pour éliminer les parasites qui se seraient glissés dans mon pelage.
Puis je scrute les environs avec mes grands yeux noirs et j’hume l’air en direction des 4 points cardinaux, j’analyse les odeurs… Tout est calme, seuls quelques chants d’oiseaux mélodieux, pas de cris d’alarme des geais ou des merles, …les véritables sirènes de la forêt… La voie est libre ! Je pars donc faire mes courses, en me laissant littéralement glisser, la tête la première, le long de mon arbre. Je suis actif du lever du jour au coucher du soleil avec un pic principal en fin de matinée en hiver, et deux pics aux autres saisons, un à l’aube et un avant le coucher du soleil.

En premier je cherche à boire, mais toujours sur le qui-vive, je m’arrête à tout instant, assis sur mon derrière, la queue relevée en point d’interrogation le long de mon dos. J’inspecte les alentours et momentanément rassuré, je repars d’un bond jusqu’à la mare ou vers mon étang favori. Je ne marche pas, je sautille comme mes autres cousins de la famille des rongeurs (la souris, le mulot ou le lapin).
Je me faufile avec aisance entre les branches tombées au sol et les arbustes avec toujours la même énergie en vérifiant régulièrement le calme alentour car au sol je ne me sens pas vraiment en sécurité. Aussi dès la dernière gorgée avalée, je me précipite sur le 1er tronc pour rejoindre mon territoire et en moins de temps qu’il faut pour le dire, je suis déjà en haut du plus grand chêne à l’abri des regards…je suis aussi agile verticalement qu’horizontalement et ma longue queue « en panache » me sert de balancier et de gouvernail. Si je suis inquiet, je suis capable de me jeter d’un arbre à l’autre comme un écureuil volant.
Je peux enfin commencer ma quête de nourriture, toujours en partant de la cime des arbres. Toutefois cette nourriture est rarement accessible à déguster tel quel, avec une noisette par exemple, je la bloque solidement entre mes petites mains et je ronge d’un côté un trou allongé, puis je plante mes incisives dans la fente et la coquille éclate en deux. Pour les noix, même procédé, je fais un trou dans la jointure des deux demi-coques et après un petit coup de dent, la jointure cède.

Dans les pinèdes ou dans les quelques conifères que nous avons dans nos forêts, il est facile de retrouver ma trace. Après avoir cueilli la pomme de pin en rongeant la queue du fruit, je commence à éplucher la partie déjà rongée et je fais tourner le fruit sur lui-même au fur et à mesure pour enlever chaque écaille en coupant sa base et en tirant pour en extraire les graines. Une fois rongée, je jette ce trognon de pomme de pin au sol et les écailles situées à l’extrémité vont ensuite s’ouvrir. Il reste alors une forme conique avec quelques écailles écartées à l’extrémité opposée de la queue rongée : pas de doute il s’agit des restes de notre écureuil.

Puis progressivement les jours allongent et les températures se font plus clémentes. Je me sens un peu seule sur mon territoire depuis le printemps dernier. C’est peut-être le moment de faire d’autres connaissances. Et coïncidence, de leur côté, les mâles s’éloignent de leur nid à la recherche d’une femelle dont le marquage olfactif va le renseigner sur son âge et sur sa disponibilité (réceptive un seul jour). Après une parade nuptiale débridée faite de courses poursuites, de cris, de claquements de langue, je finis par accepter le plus résistant qui pourra me donner des petits capables d’assurer la pérennité de notre espèce.
La vie de couple est de courte durée, car, après les ébats, je rejette ce mâle encombrant (il n’y a pas de place pour deux dans mon nid) qui retourne vite chez lui et chacun reprend sa vie solitaire.

Un mois et demi après, je donne naissance à mes petits. Ils peuvent être entre un à six et pèsent de 10 à 12 grammes chacun (le poids de 2 morceaux de sucre) aveugles et dépourvus de poils. Je les allaite pendant un mois. Ensuite je les habitue progressivement à des aliments solides. Vers 1 mois ½, ils font leurs premières sorties, c’est alors une période à haut risque, je suis quelquefois contrainte de les prendre dans ma gueule pour les changer de nid pour leur sécurité.

Enfin, vers l’âge de 2 mois, ils sont sevrés et explorent leur environnement de plus en plus loin autour de notre nid avant de le quitter définitivement pour trouver un territoire. Ils peuvent parcourir jusqu’à une dizaine de kilomètres et mettent souvent leur vie en danger. Seul un quart des jeunes atteint l’âge d’un an, qui est l’âge de la maturité sexuelle pour une espérance de vie d’environ 3 ans.

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Malheureusement nous constatons partout en France comme dans nos forêts chavilloises une diminution du nombre de nos écureuils roux.
Beaucoup de causes sont invoquées :

  • Le morcellement des surfaces forestières (dans nos forêts)
  • Le trafic routier notamment sur les routes forestières (dans nos forêts)
  • Les rapaces : le danger venu des airs est difficile à éviter mais plus limité à Chaville
  • Les fouines à Chaville (les martres dans les forêts de pins)
  • Braconnage (peut-être pas dans nos forêts)
  • L’invasion de l’écureuil gris (espèce américaine) : plus robuste, cet écureuil a déjà colonisé une partie de l’Europe. Il détourne à son profit les ressources alimentaires et est vecteur d’une maladie, la coccidiose, due à un parasite inoffensif pour lui, mais très souvent mortel pour l’espèce rousse. Ce virus et la concurrence alimentaire ont été responsables de la disparition de l’écureuil roux au sud de l’Angleterre et dans de nombreuses régions d’Europe. On le trouve actuellement en Italie, on peut s’attendre à ce que les Alpes soient franchies prochainement. L’écureuil gris est une espèce mieux adaptée aux forêts de feuillus (il consomme les glands des chênes) tandis que notre écureuil roux est plus adapté aux forêts de conifères (il digère mal les glands et préfère les graines des pommes de pin). Pour l’instant l’écureuil gris n’est pas présent dans nos forêts chavilloises.

L’écureuil roux est une espèce protégée en France par l’arrêté du 17 avril 1981, mais cette mesure n’empêchera pas l’arrivée ni l’invasion de l’écureuil gris. Pour aider l’animal à faire face au fractionnement de son milieu, certaines communes ont installé des écuroducs. Ce sont des cordes horizontales (cordes tressées de « funambule »), fixées en hauteur de part et d’autre des routes sur certains arbres pour faciliter le passage des écureuils d’une parcelle à l’autre. Ils ont été efficacement testés en France, ce sera l’objet d’une de nos prochaines propositions auprès de l’ONF.

Le Muséum National d’Histoire Naturelle organise une enquête nationale permanente pour récolter les observations que vous pourrez faire concernant notre écureuil roux mais surtout sur les autres écureuils que vous pourriez observer près de chez vous.

Pour plus d’informations, consulter le site : https://ecureuils.mnhn.fr/enquete-nationale