Les arbres qui se parlent

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Imaginez-vous en promenade en forêt. Bien sûr, vous voyez des arbres d’espèces diverses avec leur tronc et leurs branches couvertes de feuilles mais en fait la forêt est bien plus que cela. Sous terre il y a un autre monde, un monde infini de sentiers biologiques, ils relient les arbres qui peuvent ainsi communiquer entre eux ! Ceci permet à la forêt de se comporter comme un seul et unique organisme, une sorte de famille en quelque sorte !

Qu’y a-t-il dans le sol d’une forêt ?

Le sol, véritable usine de recyclage, est le lieu où tout fini et où tout commence. Sa matière est réserve de nourriture pour les végétaux et milieu physique pour leurs racines. Les êtres vivants y puisent une bonne partie de leurs besoins. Les végétaux s’y fournissent en eau, sels minéraux et oligo-éléments ; de nombreux animaux y trouvent leur nourriture.

 

Tout finit au sol pour former la litière : branches et feuilles mortes, cadavres d’animaux, déchets d’êtres vivants… Ils vont être convertis en matière organique grâce à l’action des organismes décomposeurs qui les fragmentent, tandis que d’autres digèrent les molécules complexes pour les transformer en éléments simples. Une poignée de terre forestière contient plus de créatures microscopiques vivantes qu’il n’y a d’êtres humains sur terre. 

C’est là qu’il faut parler de la présence de mycélium (voir photo ci-dessous) c’est à  dire de la partie végétative des champignons composée de filaments plus ou moins ramifiés. Une cuillerée à café contient déjà à elle seule un kilomètre de filaments de champignons ! Ce mycélium sécrète des enzymes puissantes lui permettant de décomposer la matière organique la plus résistante comme le bois. En s’associant aux racines avec des bactéries, il joue un rôle vital en contribuant à augmenter l’efficacité de l’absorption de l’eau et des nutriments de l’arbre.

Comment concrètement sait-on que les arbres communiquent entre eux ?

On le doit à une scientifique Suzanne Simard, Professeur d’écologie forestière à l’Université de British Columbia au Canada. Des expériences de laboratoire avaient établi que certaines espèces d’arbres transmettaient du carbone à la racine d’un autre plant. Pour montrer que c’était le cas dans une forêt, elle a cultivé 80 arbres de trois espèces, bouleau, sapin de Douglas et cèdre rouge et a utilisé la méthode du traçage isotopique du carbone comme suit : elle a installé des sacs plastiques sur ces arbres, puis a injecté dans le sac du bouleau du gaz carbonique marqué au carbone 14, qui est radioactif donc détectable par l’émission de particules béta (on l’appelle souvent radiocarbone). Dans le sac du sapin de douglas elle a injecté du carbone 13, qui est stable (non radioactif) mais distinct du carbone 12 qui est l’élément naturel. Il s’agissait de savoir si la communication entre les arbres allait dans les deux sens. Après une heure, c’est-à-dire le temps pour que les arbres absorbent le gaz carbonique par photosynthèse, le transforment en sucres puis l’envoient à leurs racines, S. Simard a utilisé un compteur Geiger pour détecter la présence de carbone 14 d’abord sur le bouleau. Effectivement, le crépitement du compteur au niveau des feuilles a montré que l’arbre avait absorbé le gaz radioactif. Ensuite elle a fait la même expérience sur le sapin de douglas voisin. Le crépitement est apparu montrant que le bouleau a parlé au sapin : « Salut puis-je t’aider ? » et le sapin parlant au bouleau disait «  oui peux-tu m’envoyer du carbone ? Parce qu’on m’a recouvert avec une toile d’ombrage ». Sur le cèdre, rien ! Il n’était pas connecté au réseau reliant le bouleau et le sapin. Elle a poursuivi l’expérience en mesurant la présence de carbone 13 sur le bouleau et effectivement le bouleau et le sapin avaient une conversation vivante dans les deux sens ! Grâce à de nombreuses expériences, elle a constaté que pendant l’été, le bouleau envoyait plus de carbone au sapin de douglas que celui-ci n’en envoyait au bouleau, surtout si le sapin de douglas était ombragé. Plus tard, elle a constaté le contraire, le sapin de douglas envoyait plus de carbone au bouleau que la réciproque car le sapin de douglas grandissait encore alors que le bouleau n’avait plus de feuilles. La preuve était là : Les deux espèces sont réellement interdépendantes.

Regarder la vidéo sur le travail de Suzanne Simard : https://www.facebook.com/franceinfovideo/videos/1298877293489099/

Pour aller plus loin, les scientifiques ont démontré que les arbres ne parlent pas seulement avec du carbone mais aussi avec de l’azote, du phosphore, de l’eau et d’autres produits chimiques divers. Ils peuvent émettre des signaux de défense. Comment ? Eh bien par le mycélium décrit plus haut. Ce mycélium colonise les racines de tous les arbres et de toutes les plantes et forme un réseau. Ce réseau est si dense qu’il peut y avoir des centaines de kilomètres de mycélium en l’espace d’un seul pas. Le mycélium connecte différents individus dans la forêt, non seulement de la même espèce mais aussi de différentes espèces, comme le bouleau et le sapin de douglas. Ce réseau dit mycorhizien fonctionne comme un internet végétal avec des nœuds et des liaisons. Les scientifiques sont capables de construire une carte en examinant les séquences d’ADN de chaque arbre et de chaque champignon dans une parcelle de forêt. Les arbres sont les nœuds et les interconnexions fongiques les liaisons. Les nœuds les plus gros sont les plus importants, ce sont les arbres concentrateurs ou les arbres mères qui nourrissent les jeunes arbres, ceux qui poussent dans les sous-bois. Dans une forêt un arbre mère peut être connecté à des centaines d’arbres. On sait que les arbres-mères envoient leur excès de carbone aux plus petits plants via le réseau mycorhizien, ce qui augmente les chances de survie de ces plants par quatre.  

Est-ce qu’un arbre reconnait les siens comme une mère reconnait ses petits ?

Dans une expérience spécifique de l’équipe canadienne, avec des arbres mères (sapin de Douglas)  et des plants de la même espèce et aussi d’autres espèces, il a été établi   qu’ils reconnaissent les leurs, grâce à des réseaux mycorhiziens plus grands qui leur permettent d’envoyer plus de carbone via le sous-sol. En termes de racines, ils réduisent même la compétition pour laisser de l’espace vital à leurs enfants. Quand les arbres mères sont blessés ou mourants, ils envoient des messages de sagesse à la nouvelle génération de plants. Le traçage par isotope a permis de suivre le déplacement du carbone d’un arbre mère blessé le long de son tronc, vers le réseau mycorhizien et vers les jeunes plants alentour, pas seulement le carbone mais aussi les signaux de défense. Ces deux composants ont augmenté la résistance des jeunes plants aux stress futurs. Les arbres se parlent !

 

Au travers de conversations bidirectionnelles, les arbres augmentent la résistance de toute la communauté. Ils agissent comme une sorte de famille ou de corps social. Les forêts ne sont pas juste un ensemble d’arbres, ce sont des systèmes complexes avec des « hubs » et des réseaux qui se chevauchent, connectent les arbres, leur permettent de communiquer, leur fournissent des voies de rétroaction et d’adaptation et c’est cela qui rend la forêt robuste. Mais les forêts sont aussi vulnérables,  non seulement aux perturbations naturelles comme les attaques d’insectes (par exemple les dendroctones) qui préfèrent attaquer les gros arbres mais aussi les dégâts dus à l’exploitation forestière et les coupes claires. Vous pouvez ôter un ou deux arbres concentrateurs mais il y a une limite à respecter car les arbres concentrateurs ressemblent aux rivets d’un avion : si vous enlevez un ou deux rivets l’avion continuera de voler, mais si vous en enlevez un de trop ou celui qui maintient les ailes, tout le système s’effondrera !

On comprend que pour régénérer naturellement la forêt tout en limitant la vulnérabilité des forêts, il faut limiter les coupes. Selon les forestiers la coupe par trouées, la rétention des arbres concentrateurs et la régénération à une diversité d’espèces, de gènes et de génotypes, permet à ces réseaux mycorhiziens de s’en remettre rapidement. Nous devons donner à Mère Nature les outils nécessaires afin qu’elle puisse, grâce à son intelligence, se guérir. Nous devons nous souvenir que les forêts ne sont pas un tas d’arbres en compétition, ils sont en coopération.

Après avoir découvert les secrets de ces géants terrestres, vous ne vous promènerez plus dans la forêt avec le même regard.

ClVous voulez en savoir plus sur la vie secrète des arbres, lisez le livre de Peter Wohllben, c’est passionnant ! Vous comprendrez comment un forestier perçoit la forêt et va bien au-delà de la sylviculture et de son intérêt à exploiter le bois pour sa valeur marchande. Son sens de l’observation et le dialogue avec les visiteurs lui a ouvert les yeux sur d’innombrables phénomènes extraordinaires. Quand on sait qu’un arbre est sensible à la douleur et a une mémoire, que les parents-arbres vivent avec leurs enfants, on ne peut plus les abattre sans réfléchir ni ravager leur environnement en lançant des bulldozers à l’assaut des sous-bois. Une forêt en bonne santé est plus productive et rentable !