De la belle exotique à la belle invasive !

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De la belle exotique à la belle invasive !

Perruche à collier Mâle

A l’origine, je vivais sur les contreforts de l’Himalaya, jusqu’à 1 500 mètres d’altitude en Inde (depuis le Pakistan jusqu’à la Birmanie) et dans les forêts tropicales d’Afrique subsaharienne (de l’ouest à l’est), mais je suis tellement belle qu’au cœur des années 1970, l’exotisme étant à la mode, on me déracine de force pour me mettre en cage. J’arrive en avion avec quelques-unes de mes congénères. Nous débarquons à Orly, nous étions une cinquantaine d’après les dires de l’époque ; après un tel voyage nous n’avions qu’une envie : voler ! Nos gardiens nous ont sous-estimés… nous arrivons à nous échapper, c’est l’Aventure. Vingt ans plus tard, une dizaine d’autres ont réussi à se défaire des barreaux de leur volière à Roissy. Et c’est le début de la grande histoire des Perruches à collier en France.  

Perruche à collier femelle

Aujourd’hui, on me retrouve en Ile de France mais pas seulement, en Angleterre, Espagne, Allemagne, aux Pays bas, etc…

Vous m’avez rencontrée, j’en suis sûre : vue ? Peut-être pas, mais entendue ? C’est certain.
Bref, je me présente :
Je fais partie de la grande espèce des perruches : 40 à 41 cm de longueur pour une envergure de 47 cm. Je possède un plumage à prédominance verte avec une longue queue aux tons bleu azur, mon ventre et le dessous de mes ailes sont jaunâtres. La mandibule supérieure de mon bec est rouge, alors que l’inférieure est noire. Pour les mâles, une ligne noire relie la base du bec jusqu’aux yeux (le collier) ainsi qu’une petite bande rouge à la nuque.
Les femelles et les plus jeunes ont une queue plus petite, leur couleur est moins vive, elles n’ont pas de collier et présentent plusieurs bandes claires au niveau de la nuque.

Notre vol est rapide et direct, associé à des cris « peu harmonieux », notamment lors des vols en groupe, car nous ne sommes pas solitaires mais grégaires, nous avons besoin de nous « parler »…A la tombée du jour, nous nous rassemblons sur un arbre dortoir pour y passer la nuit puis au petit matin nous partons nous nourrir essentiellement de fruits et de graines, de céréales, baies, bourgeons, fleurs et nectar. Quelle chance, là où on nous avons atterri, rien ne manque dans les parcs et jardins, au pire, les champs de céréales ne sont pas loin.

 

Mais dès la fin du mois de janvier, j’ai d’autres missions à accomplir. Les basses températures ne sont pas un problème pour moi, je suis robuste. Bien que je sois monogame et fidèle pendant mes presque 30 ans de longévité, si mon partenaire n’est pas au rendez-vous, je me hâte de faire un nouveau choix.

Ensuite je quitte ma colonie et mon dortoir pour trouver le meilleur endroit pour nicher : une cavité (un trou ou une anfractuosité, si vous préférez, car je suis cavernicole), l’idéal ? Une cavité d’arbre situé entre 3 et 10 mètres de hauteur pour m’installer. Je suis la première des habitants de la forêt à me préoccuper de ma descendance aussi tôt dans l’année, ainsi je n’ai que l’embarras du choix. Les nids de pics abandonnés ou pas encore occupés me conviennent parfaitement, j’ai juste à les agrandir si de plus petits que moi les ont utilisés l’an dernier. Opportuniste, je ne creuse pas mon propre nid, quoi de mieux qu’un habitat tout prêt ? Malheureusement les cachettes que j’ai agrandies deviendront inhospitalières pour la majorité des volatiles locaux qui ne seront plus à l’abri des prédateurs.

En février/ mars, je ponds mes 3 ou 4 œufs que je couve pendant 21 à 24 jours, assistée partiellement par mon mari. Par contre après l’éclosion des oeufs, j’assure quasiment seule le nourrissage et l’élevage de mes jeunes pendant 40 à 50 jours. Ils sont magnifiques mes petits, d’un beau vert tendre, leur plumage adulte n’apparaitra qu’à 18 mois et ne sera complet qu’à 38 mois.

Seulement voilà, quand, en mars ou avril tous les autres cavernicoles se décident à nicher (pics, sitelles torchepots, mésanges, étourneaux sansonnets, pigeons colombins, y compris écureuils, chauve-souris…), la majorité d’entre nous a déjà élu domicile et la concurrence est rude pour les autres cavernicoles.
Pour l’instant, je réussis souvent à m’adapter en utilisant d’autres types de cavités disponibles et situées en hauteur, comme des anfractuosités de rocher, crevasses dans un mur, espaces sous un toit, etc… mais il y a peu de grands rochers dans nos forêts et peu de crevasses dans nos maisons de ville…
C’est pourquoi 3 scientifiques (A.Berthier, Ph.Clergeau et R.Raymond) ont intitulé leur article sur la perruche à collier en 2017 « De la belle exotique à la belle invasive »…

Recherchées par les animaleries, elles sont très appréciées des éleveurs d’oiseaux en cage. Elles sont très belles passant du bleu azur à toutes les nuances de vert ou de jaune voire même de violet en fonction des mutations. C’est un oiseau qui peut être facilement domestiqué, et même, parait-il, capable de prononcer quelques mots comme les perroquets.
Seulement compte tenu de leur longévité, certains propriétaires se sont lassés de s’occuper de leurs pensionnaires et les ont laissées s’envoler…De plus, celles qui ont réussi naturellement à s’échapper ont très facilement colonisé leurs nouveaux territoires. Ce sont des oiseaux très intelligents qui s’adaptent très bien sans besoin de migrer. Nous les retrouvons souvent dans les mangeoires pour petits oiseaux qu’elles chassent sans scrupules.

Il semble que toutes nos perruches arrivées en Europe sont originaires d’Inde où elles sont un fléau pour l’agriculture. Elles se nourrissent en grand nombre dans les champs et sur les arbres fruitiers.

En France, elles seraient entre 8 000 à 10 000. Plus de la moitié est aujourd’hui installée en Ile-de-France. D’une cinquantaine de volatiles dans les années 1970, leur nombre a été multiplié par 100 en 30 ans. Le parc de Sceaux abrite à lui seul plus de 90 nids.

En France, les perruches préfèrent pour le moment ne s’attaquer qu’aux fruitiers des jardins privés (cerisiers, pruniers, pommiers). L’impact le plus visible de leur présence reste l’ébourgeonnage des arbres. Ils s’en retrouvent souvent étêtés.

L’ornithologue Philippe Clergeau, s’inquiète : « A Londres, on les a beaucoup nourries. Aujourd’hui il y en a 30 000. C’est gigantesque : on ne peut pratiquement plus intervenir sur l’espèce. Elles se sont reportées vers d’autres productions qui sont en dehors de la ville et les premiers dégâts ont été constatés sur des vignobles, et sur certains champs de céréales ».

Aux Seychelles, dans l’océan Indien, la réponse au problème des perruches à collier a été radicale. Des opérations d’éradication ont été lancées dès 2013 et le dernier spécimen de perruche à collier aurait été tué début septembre, rapporte Seychelles News Agency. Mais pour Jean-Philippe Siblet, du Muséum d’histoire naturelle, il est déjà trop tard en Europe. « Sur une île, une espèce invasive peut être éradiquée, mais à l’échelle d’un continent comme l’Europe, c’est totalement impossible ». En cage comme en liberté, les perruches à collier n’ont donc pas fini d’échapper au contrôle de l’homme.

Que penser des perruches dans nos forêts chavilloises ? Elles sont arrivées en premier dans la forêt de Meudon (entre 2011/2013) et depuis environ 4 ans dans celle de Fausses-Reposes. Elles sont souvent très populaires pour les riverains malgré leurs cris discordants. C’est vrai qu’elles sont belles, on peut facilement les admirer car beaucoup moins discrètes que nos pics, geais et autres. Pour l’instant elles ne semblent pas poser un réel problème mais elles se reproduisent très vite sans véritables prédateurs capables de les réguler. Seuls, la chouette hulotte et le faucon pèlerin peuvent les troubler un peu et occasionnellement le rat qui peut se délecter de leurs œufs mais les perruches savent se défendre d’un coup de bec. La perruche n’a pas de prédateur en Europe, contrairement à l’Asie où elle peut être attaquée par d’autres oiseaux.

Leur présence pourrait bien avoir des conséquences insoupçonnées sur la biodiversité francilienne : menacer d’extinction les espèces locales, endommager les cultures agricoles, et autres nuisances…  Les conséquences pourraient être nombreuses. Faut-il les laisser croître au risque de ne plus pouvoir les maitriser ou réagir rapidement et limiter leur nombre croissant ? Aujourd’hui elles sont classées dans la catégorie des espèces invasives. Pour les spécialistes de la biodiversité, il faut agir avant qu’elles ne soient trop nombreuses.
Pour l’instant aucune action concrète n’est menée par les autorités publiques françaises. Une solution radicale est écartée pour le moment en France. La loi reste encore floue.
D’autant que les perruches disposent d’un capital sympathie très fort auprès du public : « La majorité des gens interrogés trouvent cet oiseau « beau » et ne comprendraient pas qu’il y ait une intervention. Ils nous disent : « on aime autant ça que les pigeons ! », explique Philippe Clergeau, ce sont les atouts charme de la Psittacula krameri (perruche à collier).