La demoiselle aux yeux d’or

You are currently viewing La demoiselle aux yeux d’or

Il était une fois un petit insecte bien triste, la tête contre le mur d’un garage ou d’un abri à bois à l’abri des vents de l’hiver.

La raison de la désolation de cette petite mouche aux yeux d’or est que personne ne lui prête la moindre attention pour lui dire « t’as de beaux yeux, tu sais… ! » Pourtant elle vient fidèlement passer tous les hivers près des hommes, voire à l’intérieur de leur habitation.

Cette petite mouche (10 à 15 mm pour un adulte) se présente sous la forme d’une mince demoiselle (voir notre bulletin de juin 2016 pour se remémorer la différence entre une demoiselle et une libellule) aux ailes immenses et diaphanes, couleur de feuille verte en été et de mur gris en hiver. Il s’agit de la CHRYSOPE qui, vous l’avez compris, possède deux tenues différentes assorties aux milieux où elle se trouve.

De mai à octobre, elle est en forêt, dans les parcs boisés où elle batifole à l’ombre des feuilles. De novembre à avril, changement de décor sous peine d’être transformé en petit glaçon. Elle viendra s’installer dans une habitation humaine où son beau costume émeraude s’étiolera peu à peu pour virer dans une couleur beaucoup plus discrète. Où la trouver ? Ce fragile petit insecte cherche un refuge pour passer l’hiver. En priorité elle s’installe dans des bâtiments peu fréquentés et non chauffés (abris de jardin, vérandas, intérieurs de balcon, sous des tas de bois ou de feuilles sèches…) mais elle entre aussi sans scrupules dans nos habitations. Ses gîtes caractéristiques sont des espaces étroits compris entre deux surfaces planes, derrière un tableau, un meuble, un volet, une poutre etc… elle se cale confortablement sur ses trois paires de pattes à crampons et s’abandonne sans remords au sommeil… Ainsi se passe l’hiver, généralement sans histoires.

Mais dès les premiers beaux jours, avec l’apparition d’un doux soleil et d’une lumière éblouissante, nos dormeuses se réveillent. Celles qui ont hiberné dans nos habitations se dirigent instinctivement en direction des vitres et tentent longtemps d’y découvrir une problématique porte de sortie… mais il arrive aussi que trompées par le feu d’une cheminée par exemple qui apporte un surcroit de chaleur et de lumière, nos naÏves petites bêtes sortent de leur cachette et tentent une sortie vouée à l’échec. Alors surtout, si le printemps est là, n’hésitez pas à leur ouvrir la fenêtre, vous serez récompensés, il suffira d’attendre un peu.

C’est alors, que quittant leur gîte hivernal, nos demoiselles s’égaillent dans la nature. Leur corps redevient vert et même leurs grandes ailes translucides prennent une jolie couleur « vert printemps ». Seulement, plusieurs mois passés ainsi à vivre de l’air du temps, ça creuse ! Heureusement le gibier est partout. Le gibier pour une Chrysope, ce sont tous les petits pucerons verts, mous et dodus dont les troupeaux innombrables couvrent en rangs serrés les feuilles et les rameaux des plantes. Notre demoiselle a beau jeu d’en venir à bout : ces pucerons sont incapables de s’enfuir et encore moins de se défendre.

Après quelques jours de ce régime reconstituant, les voilà en pleine forme pour pondre. Et là ! qui imaginerait une ficelle tendue en l’air, bien verticale avec un œuf collé en haut… (photo) notre Chrysope est une artiste. Elle se place à la surface d’une feuille, bien campée sur ses six pattes et laisse tomber à terre l’extrémité de son abdomen. Une goutte de liquide perle et la Chrysope relève très lentement son ventre jusqu’à une hauteur d’environ 1,5 cm. Pendant toute la durée de ce précautionneux mouvement, la gouttelette s’est allongée pour devenir un long et fragile fil blanc solidifié. Reste la phase ultime, déposer l’œuf blanc au sommet de cette tige bizarre. Il arrive aussi que certaines, plus pressées ou moins courageuses, pondent sur la face inférieure des feuilles, mais il faut savoir que les premières auront plus de chance de voir leurs œufs éclore avant d’être mangés notamment par les mésanges qui raffolent des œufs d’insectes tout frais pondus. Or les œufs qui se retrouvent suspendus entre ciel et terre se confondent avec ces minuscules champignons à pied grêle que les mésanges ne prisent guère. Dans le doute, elles passeront leur chemin sans se rendre compte de la supercherie. Une femelle chrysope peut quand même pondre plusieurs centaines d’œufs en 2 à 3 mois.

C’est une semaine plus tard que le bébé insecte sortira de son œuf monté sur pilotis. Ce bébé insecte qu’on appelle une larve est un véritable « Dracula des pucerons » (photo). Sitôt sorti, il se dépêche de ramper vers la colonie de pucerons, car dans sa grande clairvoyance, Maman s’est arrangée pour pondre à proximité immédiate d’un de ces inépuisables garde-manger… Notre larve « fait mouche » à tous les coups…elle harponne solidement le puceron avec ses deux mandibules en forme de dents creuses et lui injecte dans le corps un venin particulièrement caustique qui va transformer rapidement en bouillie tous les organes de l’infortunée victime. Elle n’aura plus qu’à aspirer le contenu de sa victime pour ne laisser qu’une dépouille molle et plate comme un portefeuille vide.

C’est à un rythme infernal que notre larve continue ses méfaits.

Un tel régime profite évidemment à son bénéficiaire. La belle larve jaune citron décorée de rouge  atteint en 3 semaines sa taille définitive. Elle se fixe alors à un support quelconque et tisse soigneusement autour de son corps un cocon de soie blanche en forme de sphère, puis elle sombre bientôt dans un sommeil semi-comateux…

La série de métamorphoses commence. Trois longues semaines s’écoulent avant qu’une petite tête sorte du cocon, sa paroi se déchire et un insecte fripé et humide apparaît. Avec mille efforts, il s’extrait de sa vieille enveloppe, ses ailes s’étirent, son corps se déplie, et ses yeux ! Ses yeux brillent maintenant de tout leur éclat, c’est bien elle, notre demoiselle aux yeux d’or, plus de doute !

La voilà votre récompense : là où vous aurez sauvé des chrysopes, vous n’aurez plus de pucerons !

Bien moins connue que la coccinelle, elle se révèle pourtant un bon acolyte dans leur lutte contre les pucerons. La larve de la chrysope ne dévore d’ailleurs pas que les pucerons, elle s’attaque aussi aux araignées rouges, aleurodes (mouches blanches), œufs de cochenille et autres parasites des plantes. En plus, une fois devenue adulte, elle ira de fleurs en fleurs se régaler de nectar et assurer leur pollinisation.

Pour les attirer dans vos jardins ou vos jardinières, plantez la bourrache, la capucine, l’aneth, la carotte sauvage, le fenouil et des fleurs à nectar pour les adultes ailés.

Des chrysopes à Chaville ?

Bien sûr, ouvrez les yeux en grand, elles sont frêles et petites, mais elles sont là !