Un enchanteur : le merle noir

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Avec mon chant fluté et mélodieux je vous envoûte dès le lever du jour et je suis l’un des derniers à vous souhaiter le « bonsoir » quand le crépuscule assombrit le paysage, quelques cris roulés juste avant de me coucher.

En ville, vous avez beaucoup de chance de m’entendre car cela n’a pas toujours été le cas. Au début du XIXème siècle, j’étais très craintif et je ne sortais pas de la forêt, c’est à partir de 1830 que je me suis hasardé dans les villes et seulement vers 1873 que j’ai fait mon apparition dans Paris. Je suis maintenant capable d’occuper tous les milieux, depuis les forêts profondes jusqu’au cœur des grandes villes.

 

Néanmoins, un conseil, n’allez pas me confondre   avec les grives, rouge-queues ou rouge-gorges même si j’appartiens comme eux à la famille des Turdidés et encore moins à un étourneau sansonnet qui, lui, appartient à la famille des Sturnidés.

Me voici : plumage tout noir, bec jaune orangé et cercle oculaire jaune. Seule ma femelle possède un plumage plus terne, marron un peu tacheté sur le devant et un cercle oculaire jaune un peu moins visible. Nos pattes par contre sont brunes pour les deux. Et rien que pour vous : longueur 24/25 cm (dont 97-116 mm pour la queue) et une envergure de 34 à 38 cm.

Ici en région parisienne nous sommes sédentaires, vous pouvez nous admirer toute l’année. Nos cousins scandinaves eux migrent dans l’ouest de la France et dans les Iles Britanniques, voire en Afrique du Nord par grands froids, ceux d’Europe de l’Est (Pologne, Allemagne) migrent vers le bassin Méditerranéen.

Si raisonnablement, vous acceptez de laisser pousser quelques buissons dans votre jardin, si vous laissez quelques endroits couverts de feuilles mortes et d’herbes folles autour de votre pelouse alors je resterai volontiers chez vous car je m’alimente essentiellement au sol. Vous me verrez faire voler du bec les feuilles mortes pour dénicher insectes, escargots, limaces et araignées. Je pourrai aussi me nourrir de mes mets préférés en été: baies, fruits, bourgeons, éventuellement déchets de cuisine et graines de mangeoires mais surtout une de mes proies favorites : le vers de terre ! et là je vous offrirai le plus beau des spectacles : « j’avance en sautillant à pieds joints dans la pelouse (contrairement à l’étourneau qui marche…), je repère à l’ouie le lombric qui s’y cache, je m’arrête subitement, je pique le sol avec mon bec et campé solidement sur mes pattes, je tire sur ma proie, encore et encore jusqu’à ce que mon ver de terre sorte entièrement du sol ou …se casse en deux …tant pis, il «repoussera», il ne me reste plus qu’à déguster, un régal ! »

J’aime aussi les bains de soleil, peut-être m’avez-vous déjà observé pendant les journées chaudes et ensoleillées, je me couche au sol, mieux sur une pelouse, plumage gonflé, queue et ailes étalées, et bec ouvert, je profite au maximum du rayonnement au niveau de ma peau. Tous les oiseaux font ça, mais moi je ne me cache pas pour le faire.

Maintenant il est temps de marquer mon territoire, en ville il est plus petit qu’en forêt, entre 0,1 à 0,3 ha en moyenne, toujours proportionnel à la quantité de nourriture qu’il recèle pour subsister et élever une famille. En dehors de la période nuptiale, je suis plus social mais je ne forme pas pour autant de groupes organisés comme souvent mes cousines, les grives  par exemple. C’est au mois de février que je commence à faire le tour de ma propriété passant d’arbre en arbre en chantant haut et fort. Pour les voisins, le message est clair, chaque perchoir où je débite ma ritournelle marque la frontière à ne pas franchir.

Je suis le premier arrivé et j’entends le faire savoir. Si certains ne respectent pas les limites, alors ce sont des combats, des poursuites, des joutes oratoires et prises de bec… Ouf, cette fois, j’ai gagné.

Comme tous les merles, j’adapte mon chant en improvisant en fonction des situations, tantôt des notes claires et sonores avec un rythme assez lent, tantôt accompagnées de syllabes plus sifflées ou des « tac tac » saccadés et aussi en cas de danger, des cris d’alarme aigus et stridents qui ne passent pas inaperçus. Mais n’oublions pas que mon chant puissant et mélodieux permet aussi d’attirer une femelle, comme chez les autres oiseaux. En principe je suis monogame mais je n’exclue pas une petite infidélité de temps en temps. De toute façon nos couples ne durent pas à vie, ils ne se forment que pendant la période de reproduction, il faut dire que ma durée de vie n’excède pas 3 à 4 ans en moyenne, même si certains atteignent un âge plus avancé ….

Sitôt ma femelle conquise, dès la fin de l’hiver, la parade nuptiale se déroule le plus souvent au sol, je m’avance près d’elle en rampant avec la queue en éventail, puis je me redresse devant elle pour faire le beau, je renouvelle plusieurs fois et cela suffit à la séduire. Après l’accouplement, c’est elle qui choisit l’emplacement du nid sur plusieurs de mes propositions… quand même ! En général il est situé entre 1 et 5 mètres du sol et placé sur une fourche d’arbre ou d’arbuste, par exemple dans une haie épaisse où les branchages sont entremêlés ; si conifère, il y a, c’est encore mieux pour le dissimuler ; à défaut, un lierre bien fourni le long d’un tronc ou d’un mur, un recoin de maison ou une poutre peuvent aussi convenir… Ce nid est constitué de tiges, racines, feuilles, mousses entremêlés auxquels on ajoute parfois, à l’intérieur, de la boue en guise de ciment. Sa construction dure le plus souvent, 3 ou 4 jours, mais c’est elle qui a choisi de s’en occuper seule… ! Il se présente sous la forme d’une demi-coupe de 9 à 10 cm (diamètre interne) très confortable pour y déposer en moyenne 4 à 5 œufs de couleur verte piquetés de mouchetures brunes. Je ne pourrai pas faire mieux … d’autant que ce nid doit être suffisamment solide pour héberger souvent une seconde nichée, voire une troisième.

Toutefois pendant toute cette période et jusqu’à la sortie du nid de nos jeunes, ne croyez tout de même pas que je me repose. Je dois sans cesse défendre notre territoire. Je passe mes journées à en faire le tour.

L’incubation des œufs dure environ deux semaines assurée par ma femelle même si je la remplace de temps en temps pour un court moment. A ma décharge, il faut savoir qu’elle seule possède des plaques d’incubation sous son corps, moi je ne fais que maintenir la chaleur mais je ne peux pas réchauffer les œufs s’ils ne sont pas à la bonne température (comme pour la majorité des oiseaux).

Nos poussins sont « nidicoles » c’est-à-dire qu’ils naissent presque nus, les yeux fermés, et qu’ils doivent être nourris par leurs parents jusqu’à leur premier envol. Bien sûr je prends largement ma part de cette responsabilité.

A l’approche du jour d’envol, nos jeunes sont d’un brun assez clair, teintés de roussâtre sur la face, la gorge et la poitrine et entièrement mouchetés de chamois dessus et dessous. Leur bec est clair et leurs pattes rosâtres. Ils quittent généralement le nid avec toutes leurs plumes mais souvent sans savoir voler pendant quelques jours. Nous continuons à les nourrir et à nous occuper d’eux en dehors du nid pendant encore trois semaines. Ne croyez pas qu’ils sont abandonnés et évitez surtout d’intervenir sauf pour chasser un chat qui aurait repéré un de nos jeunes encore maladroit. Une semaine encore et ils seront tous indépendants.

Malheureusement notre vie n’est pas un long fleuve tranquille !

 

La mortalité de notre espèce est forte notamment durant la saison de nidification. Les raisons sont nombreuses : maladies, manque de nourriture, circulation routière, collision avec les vitres. Dans notre milieu urbain la prédation est due en majorité aux chats domestiques et souvent aussi aux corvidés.

Comme pour tous les oiseaux, on constate la même diminution d’1/3 des populations de merles noirs depuis 25 ans. Pourtant les populations de merles noirs semblaient plus stables en milieu urbain surtout dans les jardins sans produits chimiques permettant la survie des chenilles et des baies indispensables notamment pendant les périodes de sécheresse.

 

Malheureusement depuis 2015 en France et plus récemment dans notre région, la présence d’un virus aviaire Usutu (USUV) d’origine africaine transmis par l’intermédiaire de moustiques du genre Culex, a été confirmée. Les infections dues à ce virus ont un impact majeur sur l’avifaune sauvage (mortalité groupée et diminution possible de certaines espèces). Il touche surtout le merle noir (un peu moins les étourneaux, geais, grives, chouettes…) notamment pendant les périodes de grosses chaleurs. Les volailles domestiques ne sont pas touchées.

 

Aujourd’hui en France le Merle Noir est protégé par la Directive Oiseaux de 1979, classée en Annexe II, relative à la conservation des oiseaux sauvages. Il est interdit de porter atteinte aux Merles noirs ainsi qu’à leurs nids et leurs couvées, sous peine de poursuites et de sanctions judiciaires. Toutefois cette espèce est tout de même chassable en France, comme « gibier chassable» relevant de la catégorie « oiseaux de passage ».

 

Mais cette classification « de gibier chassable » devient secondaire par rapport à la présence du virus USUV qui semble faire de gros dégâts cette année dans la population du Merle noir.

 

Que faire ? Essayer de prévenir la propagation du virus en éliminant les endroits où l’eau peut stagner : petits détritus, encombrants, pneus usagés, déchets verts… Changez l’eau des plantes et des fleurs une fois par semaine, si possible supprimez les soucoupes des pots de fleurs ou remplacez l’eau des vases par du sable humide… Couvrez les réservoirs d’eau (bidons d’eau, citernes, bassins) avec un voile moustiquaire ou un simple tissu.

En cas de découverte d’un oiseau mort, vous pouvez le signaler sur le réseau SAGIR de France ou transmettre vos données au « Réseau de Surveillance Sanitaire de la Faune Sauvage »… (ne le touchez pas sans gants de protection, même si la maladie se transmet peu à l’homme et qu’elle reste sans gravité).

Gardons néanmoins espoir que nos passereaux s’immuniseront avec le temps contre ces mauvais virus. Dame Nature nous réserve encore des ressources, surtout si nous l’aidons.