Les abeilles sont indissociables des fleurs, arbres et prairies car elles les fécondent. Nous, les humains en recueillons les fruits, les noix, les légumes les graines et en plus le miel et la cire. L’alliance entre les abeilles et les plantes à fleurs est une histoire de près de 120 000 ans, histoire qui semble éternelle. Pourtant, les colonies d’abeilles s’effondrent dans le monde depuis quelques dizaines d’années… Le résultat est prévisible : i) plus de pollinisation des fleurs, ce qui augure des conséquences graves pour l’alimentation humaine et animale, ii) la perte de connaissances scientifiques. Sur ce dernier point, les chercheurs se penchent toujours sur ces insectes et n’ont pas fini de découvrir leurs mystères !
Un insecte social fascinant dans une colonie de plusieurs dizaines de milliers d’individus !
A chacun son rôle
- Une reine qui pond des milliers d’œufs au cours de sa vie
- Des innombrables ouvrières, issues de la même mère, toutes stériles, qui s’occupent en fonction des besoins, du butinage, de la défense, des soins de la reine et du couvain (ensemble des immatures) ;
- Des faux bourdons, qui ont pour mission exclusive de féconder la reine lors du vol
a. La reine : reproduction
Chaque colonie possède une seule reine qui peut pondre jusqu’à 2500 œufs par jour à la belle saison ; celle-ci peut vivre plusieurs années. Lorsqu’elle meurt ou ne peut plus pondre suffisamment, de nouvelles reines vont être élevées et s’affronteront à la naissance. La gagnante prendra le relais; De nouvelles reines peuvent être produites en prévision d’un essaimage ; la reine part de la ruche surpeuplée avec une partie des ouvrières pour fonder une nouvelle colonie.
b. Les mâles
Les mâles, ou faux bourdons, sont issus d’un ovule royal non fécondé. Ils n’ont pas de père et possèdent la moitié du patrimoine génétique des femelles.
Les œufs mâles sont pondus par la reine lors de la saison de reproduction. Ils sortent de la ruche pour faire partie d’impressionnantes congrégations de près de centaines de mâles. Les reines vierges se rendent dans la congrégation pour s’accoupler consécutivement à une dizaine de mâles, qui en meurent à cause de leur appareil reproducteur qui reste coincé dans celui de la reine. Les faux bourdons, ne savent pas se nourrir seuls, et meurent en masse à l’automne après avoir été expulsés des ruches par les ouvrières.
La reproduction est assurée par la reine et les mâles qui la fécondent. Les ouvrières peuvent aussi pondre des œufs non fécondés qui donnent uniquement des mâles.
c. Les ouvrières
Les ouvrières stériles issues de la fécondation d’un ovule de la reine et un spermatozoïde d’un mâle, possèdent le même patrimoine génétique que la reine. Leur destin est dicté par la nourriture fournie aux larves lors du développement.
Les larves d’ouvrières sont nourries de gelée royale, une nourriture riche pendant 3 jours puis d’un mélange de miel et de pollen. Les larves de reines sont nourries exclusivement de gelée royale pendant 9 jours. Les œufs des futures reines sont pondus dans des cellules particulières appelées loges royales, beaucoup plus grosses que les cellules d’ouvrières.
Les ouvrières assurent toutes les autres tâches de la colonie : nettoyage et construction du nid, alimentation des jeunes, butinage et récoltes de nectar, pollen, eau et propolis, maçonnage, ventilation, gardiennage. Les plus jeunes ouvrières assurent ces différents travaux à l’intérieur de la ruche, celle de nourrice par exemple. Les plus âgées (à partir de 21 jours environ) assurent les tâches à l’extérieur : butineuse et gardienne. Les ouvrières peuvent changer de mission en fonction des besoins de la colonie ; selon la quantité de couvain, une ouvrière nourrice retardera ou non le moment de butiner pour garder l’équilibre nourrices/butineuses.
Un régime quasi-monarchique plutôt que démocratique
Imaginez que tous les membres de cette société communiquent efficacement avec une extraordinaire plasticité, et se coordonnent pour un fonctionnement optimal de la ruche autour de la reine, qui impose à ses ouvrières un comportement particulier par l’émission de molécules chimiques. L’organisation entre les membres nécessite d’importants échanges de ressources (nourriture par exemple) et d’informations entre eux, mais aussi des stratégies de prise de décision commune pour assurer la cohésion de la colonie.
Comment se prend, dans une colonie, la décision d’essaimer ou de choisir un nouveau site d’installation suite à un manque de nourriture ? Il est donc très important qu’un groupe d’individus au tour de la reine s’accordent sur la décision à prendre au même moment. Il faut donc un quorum. Il est de 70% chez les abeilles alors que chez les humains, il est de 50%. Prenons l’exemple de choix d’un nouveau site d’installation. Des éclaireuses quittent la ruche pour partir en reconnaissance de cavités vides susceptibles d’accueillir une nouvelle colonie. Après avoir trouvé un site potentiel, les éclaireuses retournent auprès de l’essaim et informent leurs congénères de la localisation à l’aide d’une danse. Cette danse est d’autant plus longue que le site est de bonne qualité. Chaque abeille qui assiste à cette danse, peut à son tour voler vers le site désigné et l’évaluer. Elle revient alors vers l’essaim et danse pour indiquer aux autres la localisation du site et ainsi de suite.
Des modes de communication sophistiqués
Parmi les modes de communication, les danses complétées par les vibrations de l’abdomen et des ailes, le toucher et la communication chimique via des molécules comme les phéromones représentent des moyens puissants.
Par exemple, une éclaireuse peut informer ses congénères de l’emplacement d’un site de nourriture, de sa qualité, grâce à un langage symbolique. Elle effectue une danse sous un angle par rapport à la verticale, angle identique à l’angle entre la position du soleil dans le ciel, la ruche et le site en question. La durée de la phase frétillante est corrélée à la distance entre la ruche et le site choisi. En complément, l’abeille peut utiliser la vibration de son corps d’avant en arrière avec l’émission de phéromones pour attirer ses congénères. Celles-ci la lèchent afin d’apprendre l’odeur de la source de nourriture d’intérêt. De plus, la danse peut être interrompue par un signal « stop » si une abeille recrutée s’aperçoit que la source indiquée n’est plus rentable ou risquée à cause de la présence d’un prédateur.
La communication chimique via une grande variété de phéromones, est particulièrement développée chez les abeilles. Ces molécules agissent comme des messages sociaux comme la défense de la ruche, le soin du couvain, la présence de nourriture et la reproduction sexuelle. Une phéromone peut induire une réponse comportementale rapide de la part de l’individu qui la reçoit. Une autre peut induire une réponse physiologique profonde.
Par exemple, une phéromone dite de la glande Glasgow, induit le regroupement des ouvrières autour des abeilles qui la sécrètent permettant la cohésion de la grappe lors de l’essaimage. Un autre exemple est la phéromone d’alarme, produite par les ouvrières gardiennes situées sur l’aire d’envol. A l’approche d’un danger potentiel, celles-ci émettent des molécules volatiles qui provoquent la sortie d’abeilles soldats prêtes à piquer l’individu. L’information portée par la phéromone indique l’endroit de la piqûre pour inciter les autres abeilles à piquer au même endroit et augmenter l’efficacité de la défense.
La reine elle, émet des phéromones royales dans le but de reproduction et de cohésion sociale. En fait les molécules qui la composent agissent de concert sur le comportement de cour des ouvrières. Ainsi, ces phéromones permettent l’inhibition de loges royales, stimule la construction de rayons du nid et attire les ouvrières lors de l’essaimage. Elles contribuent à l’attraction sexuelle des mâles lors de la fécondation de la reine. Enfin, ces phéromones ont un effet inhibiteur du développement des ovaires et retarde l’âge du butinage des ouvrières, afin de maintenir la sociabilité de la ruche. En effet elle assure que la reine soit la seule femelle en charge de la ponte des œufs dans la colonie.
Les abeilles immatures ont besoin des abeilles adultes pour les nourrir. Les larves émettent des molécules particulières (esters d’acides gras) dont les proportions évoluent selon leur âge et leurs besoins. Ainsi les ouvrières nourrices peuvent leur donner, grâce aux propriétés tantôt inhibitrices, tantôt incitatrices, ou manipulatrices de ces molécules émises par les larves, des soins appropriés.
Le cerveau d’une abeille de moins d’un millimètre cube : un concentré d’intelligence
Une abeille fait preuve d’une sensorialité et d’une mémoire spatiale extrêmement performante. Ainsi elle peut retrouver les fleurs les plus nourricières et optimiser ses trajets. Les chercheurs se demandent même si l’abeille ne serait pas dotée d’une conscience individuelle !
Les butineuses peuvent visiter plusieurs centaines de fleurs et parcourir jusqu’à 10km en un seul évènement de butinage En fait le système de navigation des abeilles résulte d’une combinaison de systèmes de boussoles innées et de mémoires visuelles et spatiales acquises au cours de la vie de l’individu. Les abeilles s’orientent principalement grâce au positionnement du soleil. Elles mémorisent la position angulaire du soleil lors de leur trajet. Elles ont la capacité d’avoir des repères terrestres pour retrouver leur ruche. En plus elles utilisent des éléments du paysage (montagnes, arbres, bâtiments) et des structures au sol : rivières, routes, lignes d’arbres.
Les abeilles sont fidèles à une seule espèce florale car elle enregistre les couleurs, les odeurs, la texture et la position dans l’espace. Pourtant la vision des abeilles est floue. Chaque œil est composé de milliers d’yeux simples (voir image ci-contre) avec une cornée, un cristallin et une rétinule. Elles peuvent réagir rapidement aux mouvements, ce qui est un atout pour un insecte volant. Les scientifiques ont démontré qu’elles sont capables d’apprendre les concepts de « au-dessus de », « plus grand que », et choisir des images complexes, de dénombrer des objets, d’appréhender la notion de « zéro » et d’effectuer des additions et soustractions ! En plus elles sont dotées de super mémoires olfactives.
Par exemple, une abeille est capable d’apprendre en réponse à une odeur associée à une gouttelette d’eau sucrée, à étirer son organe de succion, une trompe nommée proboscis. Et s’en souvenir pendant plusieurs jours et semaines.
Même s’il reste de nombreuses questions inexplorées sur le langage chimique des abeilles, on sait déjà qu’elles sont particulièrement sensibles à la dégradation de leur environnement (monoculture, pesticides, herbicides, parasites et prédateurs invasifs). Mais pour cela elles n’ont pas de moyens de défense ……
Pour en savoir plus : Abeilles, une histoire intime avec l’humanité.
Sous la direction de Marine Regert, Préface de Jean Claude Ameisen, CNRS édition, Cherche Midi, 2019